Coronavirus : Les stratégies thérapeutiques envisagées 

le 9 avril 2020, par Guillaume Leboucher, PhD

La France réalise peu à peu les implications de la crise sanitaire majeure que représente la pandémie de SARS-CoV 2. Il faudra attendre des mois avant de réaliser l’impact économique et sociétal de ce virus. Les différents acteurs du médicament se mobilisent aujourd’hui avec des moyens et des approches différentes.

Je dresse ici un état des lieux des options qui s’ouvrent aux Instituts de Recherche, aux biotechs et à l’industrie pharmaceutique.

Le sens commun serait d’imaginer que lorsqu’une nouvelle maladie émerge, un nouveau médicament doit être trouvé, et cela fait naître des fantasmes de la part des non-scientifiques. Cependant, cette solution n’est vraisemblablement pas la plus efficace pour nous sortir de la crise, et il faut faire le tour des options qui sont ouvertes à la communauté scientifique.
 

Trouver un nouveau médicament

Pour démarrer un projet de nouveau médicament, les chercheurs commencent en général par identifier une cible thérapeutique qui est impliqué dans le développement de la pathologie. Dans le cas du SARS-CoV 2, la cible peut être par exemple une fonction essentielle à la réplication virale, qu’elle provienne du virus lui-même ou d’une fonction de l’hôte que le virus utilise à son avantage.

Une première étude démontre par exemple qu’une des protéines du virus, la protéine S, interagit avec deux protéines des cellules humaines (ACE2 et TMPRSS2) : deux cibles potentielles pour le développement d’un médicament.

En France, trois projets de recherche fondamentale sont lancés, dans le cadre du plan REACTing pour bien comprendre les mécanismes de la réplication du virus et pour créer un modèle du virus qui sera utile aux projets à venir. Selon les résultats de ces projets de recherche, des molécules pourront être testées pour leurs effets sur le cycle de réplication du virus. Ces molécules sont choisies au sein de banques de molécules ou par l’utilisation de molécules déjà connues pour agir sur la cible ou une cible similaire.

La simulation in silico

La simulation in silico, qui utilise des algorithmes d’intelligence artificielle pour générer de multiples propositions en peu de temps peut permettre de limiter le nombre de molécules à tester et d’optimiser le coût de cette étape.

Une fois les meilleurs candidats identifiés, l’objectif est de les transférer le plus vite possible vers les tests précliniques et cliniques.

Les phases pré-cliniques et cliniques

Les tests précliniques et cliniques sont nombreux et coûteux. En effet, une entreprise pharmaceutique devra en moyenne débourser environ un milliard d’euro sur au moins 8 ans pour espérer mettre le médicament à disposition de patients. Les instituts de recherche et les pharmas sont bien armés, cependant ces temps ne sont pas compatibles avec l’urgence de la situation.

Il y a fort à parier que de nombreux projets vont émerger dans ce sens pour cette crise sanitaire notamment grâce aux initiatives européennes, et au projet commun Bill & Melinda Gates Foundation et de la Wellcome Foundation.

Quel sera cependant le futur de ces projets après la sortie de crise ? Il est en effet fort possible qu’un tel médicament mis sur le marché après le pic de la pandémie ne soit plus pertinent.

 

Développer un vaccin

L’alternative sur laquelle de nombreux pays dont les Etats-Unis et les industriels se penchent concerne le développement d’un vaccin pour se protéger du virus responsable de la maladie COVID-19. Le premier essai clinique a d’ailleurs commencé pour un vaccin, dans le cadre d’un projet porté par le NIH et la biotech Moderna Inc.

En effet, certains chefs d’états ont très vite exhorté la communauté scientifique à développer des vaccins et si possible en quelques semaines. En effet, tous les ans un nouveau vaccin contre la grippe est développé, et cela ne prend que quelques mois.

Pourquoi les scientifiques visent plutôt 18 mois pour préparer un premier vaccin contre le coronavirus ? Inversement, pourquoi le développement classique d’un vaccin prend-il entre 10 et 15 ans comme pour les médicaments, soit au moins 8 ans de plus que celui contre le coronavirus ?

 

Pourquoi développer un vaccin serait plus rapide ?

Premièrement, le développement du vaccin contre la grippe a déjà été fait, celui qui arrive en pharmacie tous les ans est une sorte de mise à jour saisonnière du virus. Dans certains pays, il n'est pas nécessaire de tester la toxicité de cette nouvelle version, ce qui raccourcit drastiquement le délai de mise sur le marché.

Ensuite, le développement d’un vaccin contre le coronavirus peut se faire en reprenant des projets en cours. Les scientifiques des instituts de recherche et de l’industrie doivent alors trouver les projets qui seraient le plus pertinents, et pour lesquels les tests ont déjà eu lieu. Cela facilite les phases cliniques de toxicité du candidat-vaccin.

 

Les projets de vaccins en cours

Le développement d’un vaccin pour le virus bronchique infectieux par des chercheurs du Migal Galilee Research Institute. Ce virus a une similarité génétique élevée avec le SARS-CoV-2. L’Institut de Recherche a annoncé que le vaccin pourrait être prêt sous quelques semaines !

De son côté, Sanofi a annoncé tester le repositionnement d’un projet de vaccin du SARS (SRAS) pour le SARS-CoV-2. De son côté, Sanofi a annoncé tester le repositionnement d’un projet de vaccin du SARS pour le SARS-CoV-2. Des projets cliniques Australiens et Néerlandais de repositionnement du vaccin du BCG pour COVID-19 sont également en cours.

Et enfin, le projet de la biotech américaine Moderna est un candidat développé dans le cadre d’un traitement contre Ebola. Il représente le 10e vaccin développé par Moderna contre les maladies infectieuses à entrer en essai clinique. L’étude va inclure un total de 45 adultes, suivis pendant 12 mois.

Enfin, le projet en cours par le NIH et Medica repose sur une méthode innovante et relativement récente pour le développement d’un nouveau vaccin : il s’agit d’injecter des ARN messagers (ARNm), une molécule dérivée de l’ADN, chez des patients pour que les peptides immunogènes soient exprimés et considérés comme corps étranger par le système immunitaire. L’avantage est que la production d’ARNm à grande échelle est rapide, en comparaison aux peptides ou polysaccharides injectés traditionnellement. L’inconvénient est que la méthode est très expérimentale, et seule une crise telle que celle d’aujourd’hui pourrait voir la FDA autoriser de tels projets aussi rapidement (comme c’est le cas pour Roche pour leur test diagnostic du Sars-CoV 2).

 

Les projets de l'Institut Pasteur

En France, l'Institut Pasteur applique la stratégie de vaccin déjà développé pour faire face au SARS-CoV-1 de 2003. La technique se base sur le vaccin contre la rougeole, très efficace et utilisé depuis de nombreuses années. Le principe est d'introduire des morceaux du génome du SARS-CoV-2 dans le vaccin de la rougeole afin qu'il exprime les peptides immunogènes du virus. Cette technique avait abouti au dépôt d'un brevet d'un vaccin contre le SARS-CoV-1 en 2004. Les essais cliniques de ce vaccin n'ont cependant pas été poursuivis car l'épidémie s'était achevée avant sa mise au point, ne laissant plus de patients pour les tests. Cela pourrait être le cas pour l’épidémie de SARS-CoV-2 en cours d’ailleurs. Aujourd'hui, les chercheurs de l'Institut Pasteur ont commencé les tests précliniques pour le vaccin contre le SARS-CoV-2 et estiment qu'environ 20 mois seront nécessaires avant la mise sur le marché du vaccin.

Il y a de fortes chances que l’on voit un de ces projets prendre la tête dans les prochaines semaines, cependant cela semble être pertinent pour une nouvelle saison de virus, s’il n’a pas muté d’ici là. Si c’était le cas, on se retrouverait dans une situation potentiellement similaire à celle de la grippe : développement d’un vaccin saisonnier en quelques mois.

 

Repositionner un médicament existant

Le repositionnement de médicament consiste à utiliser des molécules en développement ou déjà mises sur le marché sur des indications différentes de celles pour lesquelles elles ont été développées ou prescrites aujourd’hui. L’avantage majeur est que les tests de toxicité ont déjà été faits et ne sont pas à refaire dans le cadre d’une utilisation identique du médicament, et que de nouvelles phases II peuvent commencer rapidement une fois l’efficacité démontrée en pré-clinique.

Dans l’ensemble, la stratégie de repositionnement est beaucoup plus rapide et moins coûteuse que les options de développement de novo et de développement de vaccin, en particulier pour les molécules qui sont encore en développement mais pas encore sur le marché.

C’est pour cela que de nombreux projets sont en cours, notamment les suivants :

Repositionnement du Remdesivir

Le repositionnement du Remdesivir de la société Gilead Sciences qui est un médicament antiviral développé initialement pour traiter la maladie à virus Ebola et considéré comme un des plus prometteurs à ce jour. Plusieurs études sont en cours aux États-Unis et en France dans le cadre des projets Reacting.

 

Repositionnement du Kevzara

Le repositionnement du Kevzara (Sarilumab) par Sanofi et Regeneron est également en cours. Cet anticorps monoclonal a été lancé en 2017 dans le cadre du traitement de la polyarthrite rhumatoïde. Il cible le récepteur de l'interleukine-6 (IL-6), une protéine du système immunitaire jouant un rôle dans l’inflammation. Environ 400 patients devraient être recrutés pour cet essai. Regeneron dirigera les essais américains et Sanofi ceux dans le reste du monde.

 

Repositionnement de la Chloroquine

Le repositionnement de l’hydroxychloroquine, dont on a beaucoup entendu parler, traitement contre la polyarthrite rhumatoïde et, pendant un temps, traitement antipaludéen alternatif à la chloroquine, par plusieurs groupes, dont un à Marseille qui a démontré son efficacité sur un très petit groupe de patient. Un nouveau groupe à la Pitié Salpêtrière vient également de commencer un essai clinique.

Les scientifiques et responsables politiques sont tournés vers ces études de repositionnement, en espérant y trouver un moyen efficace de traiter la maladie rapidement, et ainsi de freiner la propagation du virus.

Plusieurs autres projets de repositionnement sont en cours, on peut notamment citer le Favipavir, l’Interferon beta, le lopinavir, la vitamin C, l’azithromycin, APN01 et la Ciclesonide.

 

Que va-t-il se passer, maintenant et demain ?

La crise sanitaire de ce début d’année 2020 contraint les gouvernements à prendre des mesures drastiques, et à la population de modifier son quotidien.

Elle trouvera une issue, suite au confinement, à la validation de candidat médicament et vaccin, et lorsque le nombre de patients infectés sera en baisse.

En tant qu’ancien chercheur et aujourd’hui entrepreneur au service de la Recherche, les questions posées font écho aux missions de la startup Labtoo que j’ai créée : la nécessaire accélération des projets de R&D.

Les questions que les décideurs politiques doivent se poser sont les suivantes : cette crise pouvait-elle être évitée si la Recherche disposait de plus de moyens ? Comment financer les projets différemment ? Le Dr. Abdelhakim Ahmed-Belkacem, chef du laboratoire d’étude des coronavirus à l’Hôpital Henri Mondor de Créteil indique qu’ « en règle générale, quand on commence à écrire un projet de recherche pour trouver des financements, le premier élément qu’on écrit sur le dossier, c’est le nombre de morts dans le monde. L’intérêt de la pathologie varie en fonction de sa gravité : sa diffusion et sa mortalité. »

Si l’on regarde le cas français, le gouvernement a fait un effort en 2019 et en 2020 pour augmenter les budgets alloués à la Recherche. Mais est-ce suffisant et est-ce que les projets financés sont à la hauteur des enjeux de notre société ?

Concernant les projets en cours sur le SARS-CoV-2, la France est tout à fait en ligne avec les autres pays qui investissent dans la recherche et héberge les grands de l’industries pharmaceutiques (plusieurs projets de vaccins, de médicaments et de diagnostic). De façon intéressante, les projets portés par Sanofi et l’Institut Pasteur s’accompagnent de projets portés par des acteurs de tailles nettement inférieures: Iktos pour un projet faisant appel à l’intelligence artificielle, et Novacyt pour le développement d’un kit de diagnostic approuvé par l’EMA (European Medicines Agency).

La crise n’est qu’à ses débuts, mais la Recherche aime les temps longs. Les efforts réalisés par l’écosystème sont soutenus par les plus grosses structures : NIH, Industriels, INSERM en France. L’innovation en Santé est aujourd’hui portée par des sociétés de biotechnologie de petite ou moyenne taille mais qui sont vouées à être rachetées par des géants et peinent à trouver suffisamment de financement. Le risque est de voir des projets qui pourrait sauver des vies s’arrêter car la crise d’aujourd’hui aura forcément un impact important sur ces entreprises.

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