le 2 novembre 2020, par l'équipe Labtoo
Le médicament fait l’objet d’un cycle de vie extrêmement long et fastidieux, passant par plusieurs étapes réglementées permettant d’assurer sa qualité, sa sécurité et son efficacité auprès des patients situés en fin de chaîne. Retour sur les différentes phases clés qui contribuent à la genèse d’un nouveau médicament.
Sur 10 000 molécules criblées lors de l’étape de recherche exploratoire, seulement 10 candidats médicaments feront l’objet d’un dépôt de brevet et 1 parviendra à passer toutes les étapes de tests et d’essais cliniques pour devenir un médicament : le chemin de l’innovation au malade est ainsi long, complexe et coûteux. Chaque développement de médicament suit un processus unique, en termes d’identification de candidats, de leur validation et optimisation, de la mise en place de protocoles pré-cliniques et cliniques et de la mise sur le marché.
Le processus de développement de médicaments dure généralement une douzaine d’années, couplant en moyenne 10 ans de R&D avec 2 ans de procédures règlementaires. Il s’agit également d’un processus très coûteux : en 2012, une étude avait estimé que la mise au point d’une nouvelle molécule représentait un investissement d’environ 900 millions de dollars, et même de 1,5 milliard de dollars en tenant compte du coût du capital.
Il s’agit de l’étape pendant laquelle les molécules pouvant devenir de potentiels candidats médicaments sont découvertes, puis isolées : cette étape dure en moyenne de 2 à 5 ans. Mais comment sont découvertes ces molécules d’intérêt ?
Les scientifiques ont historiquement découvert de nouveaux médicaments en copiant ou en s’inspirant de la nature (c’est le cas, par exemple, de la quinine ou des salicylates) ou par sérendipité (l’un des exemples les plus connus étant celui de la pénicilline ou du sildénafil). La pharmacologie empirique occupa ensuite une place importante dans la découverte de nouveaux médicaments : l’utilisation de substances issues de chimiothèques sur des cellules ou des organismes dans l’espoir d’y observer un quelconque effet thérapeutique fut l’une des manières de procéder des plus répandues à l’époque.
Récemment, la notion de cible biologique, ou biological target, a marqué un tournant dans l’utilisation de la pharmacologie en drug discovery. Cette cible (ou voie de signalisation) d’intérêt peut découler de la physiopathologie d’un organe et des mécanismes d’une maladie, ou de la génomique fonctionnelle, avec une analyse bioinformatique de l’activité de gènes sur des tissus sains versus malades. La cible ainsi identifiée est ensuite validée (ou non) par une molécule d’intérêt capable de s’y lier et d’induire une réponse physiologique en conséquence.
Ces molécules d’intérêt (appelées hits ou têtes de série), sont isolées à partir de criblages à haut débit (high throughput screenings) de chimiothèques et autres stratégies in silico de modélisation ; l’identification d’un site d’interaction de la cible et d’un pharmacophore par diverses méthodes telles que la RMN, la cristallographie ou des techniques de chromatographies est également une étape nécessaire.
C’est également pendant cette étape de drug discovery que commence le développement galénique , qui définit les choix de formulation, de fabrication et de contrôles : en effet, l’optimisation des hits pour assurer leur bonne efficacité, stabilité métabolique et biodisponibilité dépend beaucoup de la forme galénique employée. Cette optimisation structurelle et la synthèse de la molécule peuvent se faire par voie chimique ou par bioproduction.
Cette première étape dans la découverte d’un nouveau médicament est ainsi extrêmement coûteuse, pour des taux de succès très bas : près de 98% des médicaments qui font l’objet d’un processus de développement n’atteignent pas l’étape de la commercialisation. Principalement financée par les industries pharmaceutiques et les gouvernements, la drug discovery implique également de nombreuses interactions entre les chercheurs académiques, les industriels, les investisseurs, les autorités règlementaires et les organismes chargés de la délivrance des brevets.
La recherche préclinique regroupe les études pharmacodynamiques et pharmacocinétiques réalisées sur les molécules leads obtenues à partir des hits criblés lors de l’étape précédente. Cette étape permet de sélectionner un nombre limité de candidats médicaments pouvant accéder aux études cliniques. Le but est ainsi de tester les leads brevetés sur des cultures de cellules ( modèles in vitro ) ou sur des animaux ( modèles in vivo ), afin d’en identifier l’efficacité, la sécurité, la toxicité et leurs données pharmacocinétiques – et donc de valider la preuve de concept du candidat médicament.
Certains des tests réalisés doivent être faits selon les Bonnes Pratiques de Laboratoire (BPL) : ces réglementations précisent quelles études doivent être réalisées et quel type d'animaux doivent être utilisés pour obtenir des informations raisonnables. Deux espèces différentes d’animaux doivent être utilisées, dont pour la FDA, obligatoirement une d’origine murine.
Le profil de sécurité du candidat médicament est alors établi sur la base d’études de toxicologie systémique, locale, de génotoxicité, de carcinogénicité et de tératogénicité chez l’animal. Les caractéristiques ADME (Absorption, Distribution, Métabolisme, Élimination) des leads sont également établies, afin de déterminer la posologie à administrer chez l’homme lors des études cliniques.
Concernant les études pharmacodynamiques, il est réalisé des screenings par binding entre la cible et le lead, et des études de quantification des effets thérapeutiques du principe actif sur la base de courbes effet-dose et de seuils thérapeutiques/toxiques (DT50/DE50).
Sur une centaine de molécules ainsi testées, une dizaine d’entre elles accéderont aux essais cliniques en tant que candidats médicaments.
Une étape indispensable du développement de médicament pour son entrée en phase clinique est sa production, qui doit suivre les normes GMP (Good Manufacturing Process). Les normes GMP sont garant de la qualité et de la connaissance du produit utilisé chez l’Homme, afin d’éviter toute variation de production qui pourrait avoir des effets néfastes lors de l’utilisation des lots produits.
Les essais cliniques, réalisés sur la personne humaine volontaire, nécessitent obligatoirement une autorisation préalable de réalisation par l'ANSM (Agence Nationale de Sécurité du Médicament) et le CPP (Comité de Protection des Personnes). Deux éléments sont particulièrement importants : le consentement libre et éclairé de la personne participant, et l’avis du comité d’éthique.
Les essais cliniques se découpent en trois catégories.
Les essais cliniques de phase I se réalisent sur un petit nombre de volontaires sains et permettent aux scientifiques de tester la sécurité du médicament chez l'homme. Ce sont les études de preuve de concept du mécanisme d'action. On y étudie principalement les effets pharmacologiques (gammes de doses, Dose Maximale Tolérée) et les paramètres pharmacocinétiques chez l’homme. Ils peuvent durer de plusieurs semaines à plusieurs mois.
Les essais cliniques de phase II ont lieu si les résultats de la phase I sont concluants et sans danger pour l’homme. Ils consistent à tester l’efficacité du médicament et déterminer sa posologie optimale chez plusieurs centaines de patients malades, divisés en deux groupes : un groupe recevant le principe actif et un groupe recevant un placebo. Ces essais peuvent durer quelques mois à plusieurs années. Il faut savoir que sur une dizaine de médicaments testés en phase I et II, seuls 2 en moyenne parviendront jusqu’à la phase III. A la fin des études de phase II, le programme de R&D aura duré en moyenne 8,5 ans et coûté environ 1 milliard d’euros.
Enfin, les études de phase III visent à confirmer l'efficacité et la marge de sécurité (DT1%/DE99%) d'un médicament dans une population étendue de patients (plusieurs milliers de patients dans différents pays). Leur objectif est d’étudier le rapport bénéfices/risques du médicament et ses précautions d’utilisation liées à ses différents effets indésirables.
Il s’agit de la phase la plus longue et la plus coûteuse, et plus de 50 % des médicaments qui atteignent la phase III échouent. Si les résultats des études cliniques de phase III montrent un rapport bénéfices/risques acceptable, une demande d'autorisation de mise sur le marché (AMM) peut être préparée.
L’AMM constitue l’autorisation de commercialisation du nouveau médicament et est basée sur son efficacité, sa qualité et sa sécurité qui doivent être démontrées dans un dossier réglementaire spécifique, le CTD (Common Technical Document). Le processus de vérification par les autorités règlementaires dure généralement de 12 à 18 mois. La commercialisation du médicament n'est pas autorisée tant que les autorités ne sont pas satisfaites et ne délivrent pas d’AMM.
De nombreux pays exigent par ailleurs des études de rentabilité (études coût-efficacité) du nouveau médicament, qui aideront le gouvernement ou les compagnies d'assurance à émettre des recommandations et à décider si le médicament doit être obtenu sur ordonnance, et s'il doit être remboursé par le système d'assurance maladie du pays.
Le processus de mise sur le marché nécessite également la communication des informations recueillies sur le nouveau médicament aux médecins et autres professionnels de santé, afin qu'ils soient informés de ses effets et puissent le prescrire dans les cas qu'ils estiment adaptés..
Toutefois, il faut encore recueillir et analyser les informations concernant la sécurité du médicament après sa commercialisation, c'est-à-dire en situation réelle : c'est ce qu'on appelle la pharmacovigilance. Cette dernière est constituée d’études cliniques de phase IV, réalisées sur la population générale, dans le but de détecter les effets indésirables rares du médicament et donc de comprendre son rapport bénéfices/risques réel.